Improvisation
12. Le contrepoint à l'improviste (suite...)
C'est probablement à Thomas Campion ([v.1613]), cependant, que l'on doit les révélations les plus précieuses sur cet art dont les procédés étaient jalousement gardés par les musiciens qui en étaient dépositaires par profession. Voici, sans entrer dans les détails les plus minutieux, un aperçu de sa méthode.
.I.
Pour bien improviser sur un ground ou un plain-chant, il faut d'abord reconnaître la «vraie» nature des intervalles mélodiques qui le composent. Pour ce faire, il faut savoir que tout intervalle plus grand que la quarte doit être assimilé à son renversement, les quinte et sixte ascendantes (ou descendantes) étant considérées comme des quarte et tierce descendantes (ou ascendantes).
.II.
Lorsque la basse monte, réellement ou par supposition, la tierce demande l'octave, la quinte demande la tierce et l'octave demande la quinte. Inversemment, lorsque la basse descend, l'octave demande la tierce, la tierce demande la quinte et la quinte demande l'octave. Campion résume ces règles d'enchaînements au moyen de la figure suivante, qui n'est pas sans rappeler les rectangles magiques en vogue à l'époque :
↑
Basse ascendante
Basse descendante
↓
Ex. 12.2 - Illustration des règles d'enchaînements
Regardons de plus près les premiers enchaînements du duo basse/ténor :
§ De la 1re à la 2e note, la basse descend : le ténor, débutant sur la tierce, doit ainsi passer à la quinte.
§ De la 2e à la 3e note, la basse monte (par supposition) : le ténor se porte par conséquent de la quinte vers la tierce.
§ De la 3e à la 4e note, la basse descend (par supposition) : le ténor passe régulièrement de la tierce à la quinte.
§ De la 4e à la 5e note, la basse monte : le ténor passe de la quinte à la tierce.
etc.
La marche de l'alto et du soprano s'obtient de la même façon, mais à partir d'intervalles initiaux différents, la tierce, la quinte et l'octave devant obligatoirement être entendues sur la première note de basse.
.III.
Lorsque la basse répète une note, les autres parties en font autant ou se portent vers des consonances différentes.
.IV.
La sixte peut être prise au lieu de la quinte, plus particulièrement sur toute note de basse se trouvant à distance de demi-ton de sa voisine théorique supérieure ou inférieure ; elle demande ensuite le même intervalle que la quinte à laquelle elle se substitue.
Ex. 12.4 - Substitution de la quinte
§ De la 1re à la 2e note, la basse descend et demande à ce que le ténor, qui tient la tierce, se porte ensuite vers la quinte. Or, le mi de la basse se trouvant à distance de demi-ton de sa voisine théorique fa, il est loisible de faire entendre une sixte en lieu et place de cette quinte. Et comme cette dernière (si elle eut été présente), cette sixte se porte ensuite vers la tierce demandée par la basse ascendante.
§ Le choix des notes fa#-sol-mi au soprano a été guidé par une logique similaire.
.V.
La sixte est obligatoire sur la «sensible», qui ne peut aucunement recevoir la quinte et qui, au surplus, «admet difficilement une doublure à l'octave sans offenser l'oreille critique» (Simpson 1659, 14) :
Ex. 12.5 - Substitution de la quinte et de l'octave
§ Sur la 3e note de basse, le soprano, qui ne peut venir à l'octave de la sensible, se porte exceptionnellement vers la tierce. Pour compléter la cadence, une ou deux parties doivent également procéder de façon irrégulière afin d'éviter les octaves consécutives. Ici, le ténor substitue une tierce à son unisson et la sixte reste en place ; mais d'autres solutions sont aussi possibles.
.VI.
Les possibilités de cadences se reconnaissent au moyen de cinq formules de basse stéréotypées et consistant en un saut de quinte descendant précédé (1) d'un saut de quinte ascendant, (2) d'un saut de tierce ascendant, (3) d'un mouvement conjoint ascendant ou descendant, ou (4) d'un saut de quarte descendant. Ces formules sont montrées ici avec le retard cadentiel obligatoire :
Ex. 12.6 - Formules cadentielles