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Contrepoint versus déchant

 

7. Une appellation fautive

 

Après le contrepoint simple, certains auteurs traitent du contrepoint diminué ou figuré. La nouveauté réside ici (1) dans la mise en place de plusieurs notes contre une (=diminutions) et (2) dans l'utilisation des dissonances et la mensuration des deux chants, de façon à permettre l'emploi de toutes les valeurs de notes à la fantaisie du compositeur. Par métaphore, certains donnent aussi à ce type d'écriture l'épithète de fleuri, car «de même que la diversité des fleurs rend les champs fort plaisants, de même la variété des proportions rend le contrepoint fort agréable» (Tinctoris 1477, II, 107). 

L'auteur du plus ancien traité de contrepoint datable avec certitude dit de ces diminutions, ou «fleurs de la musique mesurée», qu'elles sont toutes les notes qui peuvent être réduites à une seule de durée équivalente (Petrus 1336, 516-517). Cette définition est d'une importance capitale, en ce qu'elle nous apprend que les musiciens de l'époque pensent en termes de structures ornementées. Une fois le contrepoint réalisé, chacune de ses notes peut potentiellement être «brisée» (fractabilis) ou «ornée de fleurs» (floribus adornato), et le contrepoint devient alors un déchant (non pas le déchant presque note contre note des clausules d’organa fleuris du XIIIe siècle, mais un genre nouveau et plus orné). À ce propos, il convient de rappeler les mots de Johannes de Muris : «le contrepoint [...] est le fondement du déchant. Et puisque l'on ne peut construire sans d'abord faire la fondation, ainsi l'on ne peut déchanter sans d'abord faire le contrepoint». Rien n'est donc plus juste que cette mise en garde contre l'appellation fautive de contrepoint donnée à l’écriture fleurie par certains :

 

«[Le mot] contrepoint peut s'entendre de deux façons, c'est-à-dire au sens large ou habituel et au sens propre ou rigoureux. Au sens large ou habituel, il est le placement de plusieurs notes contre une seule de la mélodie [préexistante] ; et je n'entends pas discuter de ce genre, car il ne peut véritablement être appelé contrepoint. Au sens propre ou rigoureux, il est le placement d'une seule note contre une autre de la mélodie [préexistante] ; et c'est de ce genre que j'entends discuter, car puisqu'on y trouve un vrai contre-positionnement note contre note, il peut véritablement être appelé contrepoint. [...] Le contrepoint interprété au sens propre est le fondement du contrepoint interprété au sens large ; par la compréhension du premier, le [musicien] expérimenté peut immédiatement comprendre le second : la pratique de la composition fleurie» (Beldemandis 1412, 28-31).

 

Ainsi, la composition fleurie ou déchant - que certains continuent communément, mais fautivement, d'appeler contrepoint -, s'appuie sur une base en contrepoint simple sans mesure et sans rythme, qu'elle orne librement d'un bouquet de «fleurs de musique mesurée». Les règles et observations que donnent les théoriciens dans leurs traités ne s'appliquent donc qu'au seul contrepoint, à savoir à la seule ossature sous-jacente note contre note, et à rien d’autre ; les diminutions, c'est-à-dire l'ornementation de surface non structurelle, n'y sont aucunement soumises. Les quintes et les octaves consécutives, par exemple, ne sont prohibées que dans le contrepoint, et non dans le déchant. Les musiciens du Moyen-âge et de la Renaissance sont bien clairs sur cette question ; c'est nous qui avons longtemps mal compris leurs propos.

 

Cette distinction sera encore faite durant et après la période Baroque. Par exemple, dans ses annotations au traité de Thomas Campion ([v.1613)]), réimprimé pour John Playford en 1655, Christopher Simpson précise que «le contrepoint est la première partie et la base de la composition ; la seconde partie est la musique figurée ou déchant, qui combine les notes lentes et rapides, les consonances et les dissonances» (1655, 25). Un siècle plus tard, Jean-Laurent de Bethizy distingue toujours «deux especes de chant, le simple et le figuré», et, selon lui, seule «[u]ne piéce dont tous les chants sont simples [...] s'appelle contre-point» (1764, 188).

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