Improvisation
11. Le contrepoint à l'improviste
Bien qu'il puisse être écrit («chose faite», res facta), le contrepoint est d'abord et avant tout un art improvisatoire («chant sur le livre», cantare super librum) qui se réalise dans l'esprit du musicien («à l'improviste», ex tempore, alla mente). Selon Thomas Morley, il résulte de ce fait même, «par la force des choses, une certaine confusion parmi ceux qui chantent ex tempore» (1597, «Annotations», n.p.), comme lorsque l'un fait entendre une quinte et l'autre une sixte sur le plain-chant. Or, tel que mentionné précédemment, la dissonance de seconde qui en résulte ne transgrèsse en rien les règles du contrepoint, la voix grave du complexe polyphonique n'étant alors pas impliquée. En effet, comme le dit Tinctoris, «lorsque deux, trois, quatre ou un plus grand nombre de personnes chantent ensemble sur le livre, aucune n'est assujetie à l'autre ; il suffit que chacune d'elles s'accorde avec [le plain-chant]» (1477, II, 110). Au surplus, cette dissonance était tellement partie intégrante du langage contrapuntique qu'elle se voit même dans les oeuvres écrites jusque dans la première moitié du XVIe siècle, et ce malgré les tentatives de prohibition de nombreux théoriciens de la musique.
Quoi qu'il en soit, une sous-catégorie de contrepoint à l'improviste, dit in concerto, fut aussi imaginée, qui permet d'éviter les dissonances précitées. Vicente Lusitano (1558, 17r-17v) et Pietro Cerone (1613, 593), notamment, en décrivent la pratique à trois voix : il suffit que, dans sa forme «note contre note» sous-jacente, le soprano suive le plain-chant à la dixième et que l'alto, qui peut improviser à son bon plaisir, veille à ne pas faire deux tierces ou deux sixtes de suite, évitant ainsi les octaves ou les quintes consécutives avec le soprano.
Ex. 11 - Vicente Lusitano, Contraponto in concerto sopra'l basso