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La grammaire dyadique

 

2. Matériau primaire et enchaînements intervalliques

 

Les théoriciens distinguent deux types d'intervalles musicaux. D'un côté se trouvent les intervalles consonants d'unisson (1), de tierce mineure (-3), de tierce majeure (+3), de quinte juste (5), de sixte mineure (-6), de sixte majeure (+6), et d'octave juste (8) ; de l'autre se trouvent les intervalles dissonants de seconde mineure (-2), de seconde majeure (+2), de quarte juste (4), de quarte augmentée (*4), de septième mineure (-7), et de septième majeure (+7).

 

Si la quinte diminuée n'est jamais mentionnée parmi les dissonances, c'est qu'elle était toujours rendue juste au moyen de la musica ficta, en vertu de la règle du «mi contre fa» dont il sera question en temps et lieu. Comme le remarque Arnulf de Saint-Ghislain, «qui ne s'émerveillera devant l'art avec lequel une relation musicale, dissonante à la première écoute, est amenée par une interprétation habile à la douceur de la consonance» ([v.1400], 20). Il faut aussi rappeler que, contrairement à l'opinion de nombreux didacticiens modernes, la quinte diminuée n'est aucunement un triton, mais plutôt une fausse quinte : seule la quarte augmentée se compose de trois tons entiers ; la quinte diminuée, elle, est faite de deux tons et de deux demi-tons. C'est une distinction que fait encore Francesco Gasparini, notamment, dans son traité de basse-continue (1708, 39).

 

Les diverses consonances sont encore classées en deux catégories, à savoir parfaites ou imparfaites, selon qu'elles sont stables ou instables. À la première catégorie appartiennent l’unisson, la quinte et l’octave ; à la seconde, les tierces et les sixtes mineures et majeures. Les dissonances sont absolument proscrites du contrepoint.

 

Consonances                                  Dissonances

Parfaites : 1, 5, 8                              -2, +2, 4, *4, -7, +7

Imparfaites : -3, +3, -6, +6

 

.I.

Dans le tempérament pythagoricien de l'époque, les consonances parfaites apparaissent dans leur forme la plus pure. Leur grande stabilité harmonique leur permet de se porter librement vers toute autre consonance, aussi bien parfaite qu'imparfaite. Selon la terminologie d'un auteur du XIVe siècle, ces enchaînements sont dits «non appendans» (Anonyme [XIVe s.] a, 71-72), c'est-à-dire que la première consonance parfaite n'exige pas de résolution particulière.

 

Ex. 2.1 - Enchaînement d'une consonance parfaite à une consonance parfaite ou imparfaite

Retour Gasparini
St-Ghislain
Ex. 2.1 -
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Retour Boen

.II.

Pour ce qui est des consonances imparfaites pythagoriciennes, celles majeures sont plus grandes et celles mineures plus petites qu'elles le sont dans le tempérament égal moderne (voyez ici pour un exemple de tierces pythagoriciennes). Elles sont donc des sonorités actives génératrices de mouvement, qui, en raison de leur grande instabilité, sont plus fortement tenues à une résolution particulière. D'ailleurs, il n'est pas étonnant qu'elles soient parfois appelées «dissonances» (Vitry [XIVe s.] b, 29) et abaissées au rôle de «servantes et messagères» des consonances parfaites (Boen [v.1355], 70). Ainsi :​

 

* la tierce mineure se résout en se refermant, par mouvement contraire conjoint, sur l'unisson (-3 > 1).

* la tierce majeure se résout en s'ouvrant, par mouvement contraire conjoint, sur la quinte (+3 < 5).

* la sixte mineure se résout en se refermant, par mouvement oblique conjoint, sur la quinte (-6 > 5).

* la sixte majeure se résout en s'ouvrant, par mouvement contraire conjoint, sur l'octave (+6 < 8).

 

Ex. 2.2 - Résolutions des consonances imparfaites

Ex. 2.2 -
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Retour Liège

.III.

Ces enchaînements «appendans» sont aussi appelés «cadences», du latin cadentiae. Ce mot ne s'entend pas ici d'une terminaison cadentielle, c'est-à-dire d'une cadence au sens moderne, mais de la résolution d'une consonance imparfaite sur la consonance parfaite qu'elle requiert naturellement (Liège [v.1320], IV, 122-123). Pour éviter toute confusion, les faux-amis cadence et cadentia seront distingués par l'emploi de leurs formes française et latine concurremment.

 

​Une cadentia consiste donc en la succession de deux consonances de natures différentes - la première imparfaite, la seconde parfaite -, par mouvement contraire de ton entier dans l'une des parties et de demi-ton dans l'autre (à une seule exception près : la sixte mineure se portant vers la quinte par mouvement oblique). S'il advient que le mouvement de demi-ton manque, il doit être suppléé par musica ficta dans l'une ou l'autre des voix. Au reste, ces résolutions ne sont pas sans similitude avec celle de l'intervalle attractif de l'accord de septième de dominante, qui demande à ce que la quarte augmentée (fa-si) se porte vers la sixte (mi-do) par mouvement contraire conjoint.

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